martes, 1 de agosto de 2017

Costume masculin de noble, début XIIème, est de la France

Costume masculin de noble, début XIIème, est de la France







Hervaldsheim Textile Réalisations Costume masculin de noble, début XIIème, est de la France






Costume masculin de noble, début XIIème, est de la France

Index des pages

1°/ Préambule


Ce projet de reconstitution s'appuie
essentiellement sur des enluminures et particulièrement celles produites
par l'abbaye de Citeaux, en bourgogne. Il comporte donc une grosse part
d'interprétation et de choix personnels quant à certains points encore
flous, notamment sur la forme des couches intermédiaires du costume,
ainsi que certains éléments tels que la "fameuse" ceinture banane (cf. §
4.2). Pour chaque élément du costume, je  m'efforcerai d'expliquer ce
qui est à peu près sur et de justifier mes choix.
2°/ Contexte historique
Ce projet a pour origine la création
d'un alter ego médiéval dont la date de naissance me correspondrait et
qui vivrait il y a 900 ans donc en 1111. Le cadre devait en être la
commune où j'habite, Eschène (devenue par regroupement Autrechène), dont
l'origine est très ancienne puisque l'on retrouve en 1104 son nom dans
une donation du prieuré dont elle dépendait. Après quelques recherches,
j'ai forgé l'histoire d'un personnage dont voici quelques éléments.

Eschène se trouve dans le Comté de
Ferrette, issu de l'éclatement du comté de Montbéliard en deux parties à
la succession de Thierry 1er de Montbéliard, en 1104. A l'origine, le
comté de Montbéliard était un des morceaux issu de l'ancien Comté de
Bourgogne, dont les limites sont quasi celles de notre Franche-Comté
actuelle. A noter que le Comté de Bourgogne a été rattaché au Saint
Empire Germanique en 1037. Eschène en fait donc également partie.
Hervald d'Eschène (ou Quercubus en
latin) est le seigneur d'un ensemble de villages se trouvant à la
frontière entre le Comté de Ferrette et celui de Montbéliard. Il est le
vassal de Frédéric 1er (qui prendra le titre de comte en 1125), qui l'a
chargé de garder la frontière contre les ravages et pillages fréquents
que commettent les troupes de Thierry II de Montbéliard.
En 1111, Frédéric 1er se marie avec la
fille du Duc de Souabe. Le costume du projet est celui que porte Hervald
à cette occasion.
Chose amusante, le manuscrit dont l'enluminure a inspiré le projet date lui aussi de 1111.
3°/ Description du projet
Le projet comporte essentiellement 4
éléments : une tunique, une chemise (quoique pas forcément portée à même
la peau), une paire de chaussures et une ceinture. Les chausses étant
somme toute quelconques, elles ne seront pas abordées.
Le point de départ est l'enluminure suivante :
Dijon-ms0168-004v-detail-01
Dijon, ms 0168, f. 4v. origine : abbaye de Citeaux, 1111
Les éléments particulièrement remarquables, qui seront discutés ci- après, sont :
  • les manches évasées de la tunique,
  • la fente sur le devant ou le côté de la tunique,
  • les diverses bandes de décoration de la tunique,
  • la ceinture "banane", nouée avec un noeud et des pendouillous se terminant par des glands.


4°/ Les sources.


Pour créer un peu plus qu'une
inspiration historique de costume, j'ai commencé par rechercher d'autres
sources pour chaque élément, l'objectif étant de voir si cette
enluminure a des chances de représenter un costume réel et pas une
simple licence artistique. Pour cela, j'ai utilise un stock de plus de
2100 enluminures, tirés des manuscrits XIIème siècle des bilibothèques
françaises (municipales, BNF, St Genevieve et Mazarine), de la British
Library, de la Bodelian Library et de bibliothèques suisses. Il manque
pour l'instant des sources d'origine germanique, ce qui auraît été
souhaitable compte tenu du contexte géographique du projet.
4.1°/ La tunique
C'est l'élément central du costume et il pose deux problèmes :
  • les manches évasées pour les hommes,
  • la présence d'une fente et de son emplacement.
Les bandes de décoration sont relativement classiques sur les
costumes nobles, notamment au biceps et en bas de tunique. En revanche,
la présente d'une bande ventrale est assez rare.





4.1.1°/ Les manches
Concernant le premier point, on remarque
beaucoup de manches évasées sur les personnages de haut rang, qu'ils
soient religieux ou non. Cependant, la présence de manches très ouvertes
comme sur l'enluminure est extrêmement rare. J' ai comptabilisé
seulement 5 manuscrits (dont le dijon ms 0168) où elles sont présentes,
dont je donne les détails ci-dessous.
Dijon-ms0014-013-09-detail-01 Dijon-ms0014-013v-05-detail-01 dijon-ms0014-013v-05-detail-02 dijon-ms0014-056-detail
dijon-ms0014-128v-detail


f. 13 f. 13v f. 13v f. 56 f. 128v
Dijon, ms 0014, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111



dijon-ms0173-029-detail-01 dijon-ms0173-174-detail
f. 29 f. 174

Dijon, ms 0173, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111





tours-ms0924-f74v-detail
f. 74v
Tours, ms 0924, origine : Tourraine, vers 1100 
NB : Phormion est bien un personnage masculin dans la pièce de Terence, illustrée dans ce manuscrit.





 Lansdowne-383-005-detail
f. 5
Lansdowne 383, origine : Angleterre, premier quart XIIème
NB : on remarque que cette enluminure est fort ressemblante à celle
de Citeaux, ce qui n'est guère surprenant compte tenu du nombre
important de manuscrits qui ne sont que des copies.


On peut noter plusieurs choses à propos de ces enluminures :


  • Elles sont majoritairement de l'abbaye de Citeaux, ce qui
    indiquerait un particularisme régional, tout au moins dans les choix de
    représentation des personnages.
  • Si l'on compare la qualité générale des
    enluminures de cette abbaye par rapport aux manuscrits produits dans
    d'autres centres, il apparaît qu'elle est supérieure, tant au niveau de
    l'exécution que du souçi du détail. On peut donc s'attendre, hors
    licence artistique et colorisation, a une représentation peut être plus
    proche de la réalité. Bien entendu, c'est peut être totalement l'inverse
    !
  • Les personnages représentés se
    répartissent principalement en deux catégories : des combattants et des
    musiciens. Dans le premier cas, ils luttent contre des zoomorphes, ou
    bien chassent au faucon. Dans le deuxième cas, ils accompagnent le roi
    David et peuvent sans doute être assimilés à des troubadours, donc
    nobles. Peut être faut-il voir un rapport entre les deux : par exemple
    la représentation naissante du chevalier idéal, le musicien/poête,
    combattant le mal. Cela dit, la présence de Phormio dans le lot, qui est
    assimilé à un parasite dans la pièce de Térence, vient  perturber cette
    hypothèse. En tout cas, à part sur l'exemplaire avec un roi (David), ce
    type de tunique ne semble pas être associé à la couche la plus haute de
    la noblesse.
  • Comme pour les robes de femmes à
    grandes manches, le point de départ de l'évasement est très variable. Il
    peut aussi bien partir du code que du milieu de l'avant bras, voir
    quasi au poignet.
Dans tous les cas, au moins une source archéologique atteste ce type
de manche, quoique plus tard dans le moyen-âge. Reste surtout la
question du patronage d'une telle manche.


 4.1.2°/ Les fentes


Concernant la fente, deux options se
présentent : devant/derrière ou bien sur les cotés. De part les
perspectives complètement faussées de la plupart des enluminures, il est
relativement dur de choisir entre ces deux solutions, notamment sur
celle qui sert de base au projet. J'ai donc procédé comme avec les
manches et fait une liste la plus exhaustive possible de fentes avérées
sur des tuniques. J'ai enlevé de cette liste les tuniques de personnages
à cheval, celles que l'on voit parfois dépasser sous les cotes de
maille, ainsi que les cas équivoques où l'on ne sait pas si la tunique ,
relevée sur les cotés et coincée dans la ceinture, est fendue ou non.
Comme pour les manches, les fentes sont rares. J' ai relevé environ 25
enluminures, réparties sur 13 manuscrits. En voici la plupart :
Dijon-ms0014-013-08-detail Dijon-ms0014-044v-detail-01 Dijon-ms0014-064-detail
f. 13 f. 44v f. 64

Dijon, ms 0014, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111



Dijon-ms0014-064v-detail Dijon-ms0014-122v-detail Dijon-ms0014-128v-detail Dijon-ms0014-165v-detail Dijon-ms0014-173-detail Dijon-ms0014-191-03-detail-02
f. 64v f. 122v f. 128v f. 165v f. 173 f. 191

Dijon, ms 0014, origine : abbaye de Citeaux, 1009-1111



Dijon-ms0015-041-detail Dijon-ms0015-099v-detail Dijon-ms0168-004v-detail-02 Dijon-ms0173-007-detail Paris-BNF-Latin17210-001v-detail Paris-BNF-Latin17768-013v-detail

Dijon, ms 0014, f. 41



Dijon, ms 0014, f. 99



Dijon, ms 0168, f. 4v



Dijon, ms 0173, f. 7



BNF, latin 17210, f. 1v [espagne]


 BNF, latin 17786, f. 13 [picardie]



Paris-BNF-naLatin214-092-detail Paris-StGenevieve-ms0009-125v-detail Paris-StGenevieve-ms0077-151v-detail Troyes-ms02391-225v-detail Valenciennes-ms0500-057-detail

BNF, n/a latin 214, f. 92 [limousin]



St Genvieve ms 0009, f. 125v [Troyes]



St Genvieve ms 0077, f. 151v [Picardie]



Troyes ms 02391, f. 225v



Valenciennes ms 0500, f. 57



Harley-2895-009-detail Lansdowne-383-003-detail Lansdowne-383-004v-detail Lansdowne-383-057-detail

Harley 2895, f. 9 [France]



Lansdowne 383, f. 3 [Angleterre]



Lansdowne 383, f. 4v [Angleterre]



Lansdowne 383, f. 57 [Angleterre]


On remarque que :


  • certaines enluminures montre clairement une fente sur le devant et d'autres clairement sur les côtés.
  • dans le premier cas, la fente de derrière n'est pas forcément visible. On peut donc se poser la question de son existence.
  • la plus intéressante est sans doute
    BNF, Latin 17210, f. 1v, d'origine espagnole. On voit clairement une
    sous-couche blanche à la tunique, qui arrive en gros sous le genou et
    qui n'est pas fendue. C'est le seul cas où l'on voit quelque chose sous
    une tunique fendue autre que les chausses. Sur les enluminures où les
    manches sont larges, on remarque souvent une sous couche dont les
    manches sont serrées et plissées. Cette sous-couche est peut être une
    chemise ou bien une couche intermédiaire entre la chemise de corps et la
    tunique. Quoiqu'il en soit, on ne voit jamais dépasser cette couche à
    travers la fente de la tunique. Se pose donc la question de la forme de
    cette couche : s'arrêtant à la hanche ? au genou mais jamais représentée
    ?
  • même si les fentes sont
    particulièrement représentées dans les manuscrits de Citeaux, la
    diversité géographique laisse penser une certaine omniprésence dans le
    quart nord-est de la France, mais rare. De plus, Lansdowne 383 est le
    seul manuscrit anglais présentant des fentes. Le style fendu est donc
    peut être quasi absent de l'ouest de la France et de l'Angleterre. Une
    étude des sources germanique pourrait renforcer ces hypothèses.



4.1.3°/ les bandes de décoration


La présence de bande de décorations se
fait principalement autour du col, en bas de tunique, aux bout des
manches, aux biceps, aux cuisses, verticale sur le torse voire jusqu'en
bas et sur le ventre.Selon les enluminures ou les statues, on distingue
nettement si la décoration est brodée ou bien en galon. Les deux se
font. Dans certains cas, on peut même distinguer l'emplacement des
pierres dans la broderie.
Dans le cas de l'enluminure de référence, on ne peut pas se
prononcer. En revanche, deux questions se posent : pourquoi le bout des
manches n'est pas décoré et pourquoi la bande ventrale est aussi large
et en triangle ?


La réponse à la première question n'est
pas triviale. En effet, sur bon nombre d'enluminures et de statues
représentant des femmes avec de grandes manches, on voit très souvent
des décorations en galon ou brodées sur le bord des manches. Si l'on se
réfère aux images ci-dessus, les contre-parties masculines ne sont
jamais décorées. Tout au plus, elles sont doublées et retournées.
L'origine de cette différence vient sans doute de l'aspect très
particulier de la manche au niveau du poignet : des "coins" pendouillent
de chaque côté du bras. Une interprétation possible [NDLR : que m'a
soufflée Gaëlle de la joyeuse aiguille ... merci ], est que la manche
est en fait fendue à sur sa dernière partie. Après avoir fait quelques
tests sur des chûtes de tissu, cette fente permet effectivement
d'obtenir le même drapé que sur les enluminures. Cela n'empêche pas en
soi la présence d'une décoration mais celle-ci rigidifierait sans doute
le bord, empêchant le tombé particulier. De plus, la couture des
extrémités de la bande, de chaque côté de la fente, ne serait sans doute
pas très esthétique.
Pour la deuxième question, je n'ai pas
vraiment de réponse. Les bandes ventrales sont très rares sur les hommes
et de préférence sur les religieux. Il y a cependant des exemples mais
encore une fois, souvent tirés de manuscrits de Citeaux (cf. images
ci-dessus). La forme particulière, en triangle, de l'enluminure de
référence est vraiment étrange et je ne l'ai retrouvée sur aucune autre,
même sur les costumes féminins. Il peut donc s'agir simplement d'un
effet de style. Quant à sa largeur, elle est moins étonnante. Certaines
robes de femmes ont également des bandes ventrales larges. La  présence
de cette bande pourrait masquer une couture entre le haut et le bas de
la robe féminine, ce qui expliquerait notamment les différences de
plissage que l'on constate sur les statues et quelques rares
enluminures. Serait-ce également le cas pour les hommes. La question est
ouverte.

4.2°/ La ceinture
La ceinture constitue une énigme totale.
Premièrement, très peu de ceintures, à part les baudriers, sont
visibles sur les enluminures début XIIème. Qui plus est, à quelques
rares exceptions, on ne voit jamais le noeud ou la boucle qui permet de
nouer la ceinture. Deuxièmement, la forme de celle-ci est vraiment
remarquable, rappelant les ceintures de force actuelles. Au final, j'ai
pu dénombrer à peine une dizaine d'exemplaires de cette ceinture dont
voici les plus remarquables.
Dijon-ms0014-044v-detail-01 Dijon-ms0014-128v-detail Dijon-ms0173-066-detail Paris-BNF-Latin15675-008-detail

Dijon, ms 0014, f. 44v



Dijon, ms 0014, f. 128v



Dijon, ms 0173, f. 66


BNF, Latin 16743, f. 8

StQuentin-ms0001-034-detail StQuentin-ms0001-036-detail Royal-1CVII-092-detail

St Quentin, ms 0001, f. 34



St Quentin, ms 0001, f. 36



Royal 1 C VIII, f. 92


J'ai mis l'enluminure anglaise malgré le
fait que les ceintures ressemblent plus à une écharpe nouée autour de
la taille. De même, celle de la BNF présente plutôt des ceintures
sacerdotales. Pour les autre on remarque que le format est identique :
élargissement à l'arrière et deux pendouillous se terminant par des
glands/noeuds. On voit également que les personnages ne sont pas
spécialement dans une situation nécessitant de la force.
Histoire de compléter le mystère, voici une dernière enluminure, représentant une femme
Dijon-ms0002-366v-detail
DIjon, ms 0002, f. 366v
Hormis l'absence de pendouillou, la ressemblance est frappante.
4.3°/ Les chaussures
C'est un des éléments du costume qui
demande le moins de réflexion. Ce type de chaussures est extrêmement
présent dès lors qu'un noble est représenté. Qui plus est, il correspond
a des exemplaires retrouvés en fouille. Voici deux gros plans, tirés
des enluminures de Citeaux:
Dijon-ms0014-013-09-detail-02 Dijon-ms0173-029-detail-02

On remarque que la chaussure est pointue
et très ouverte sur le coup de pied. De plus, elle semble comporter une
bande centrale, peut être brodée, ce qui se retrouve sur les
exemplaires de fouille, bien que ce soit plutôt pour les chaussures
féminines.
4.4°/ Conclusion


Comme on l'a vu, de nombreux éléments de
l'enluminure de référence sont hors norme voire carrément mystérieux.
La première question qui se pose est donc : est-ce un pur "délire"
artistique ou bien la représentation d'une réalité historique ? Et dans
le second cas, les différents éléments forment-ils un ensemble cohérent
par rapport au type de personnage représenté ? Etant au raz des
pâquerettes en histoire de l'art, je ne peux pas vraiment avoir une
vision objective, si tant est que ce soit possible dans ce domaine. Cela
dit, des raisons me poussent à voir dans cette enluminure une
représentation assez fidèle d'un exemple, peut être rare, de costume
nobiliaire.
En effet, les enlumineurs utilisent
généralement les éléments de leur époque pour travailler. Les exceptions
notables sont les manuscrits copiés siècles après siècles sans réel
changement. Ainsi peut-on avoir un magnifique guerrier carolingien voire
romain dans certains manuscrits XIème. Il y a aussi des éléments qui
ont une très forte symbolique (par exemple pour marquer les rois, les
juifs, les religieux, ...), et ne sont pas forcément associés au reste
du costume dans la vie réelle. Or, les personnages représentés n'ont pas
une symbolique commune clairement identifiable, ce qui laisse supposer
une certaine cohérence dans le costume. Si de plus, on prend pour
hypothèse que les enlumineurs ne font pas spécialement preuve de
créativité en inventant des vêtements (même ceux qui sont symboliques),
que les manuscrits précités ne sont pas des copies, alors il est
parfaitement concevable que ce genre de costume soit totalement
historique et surtout contemporain du manuscrits.
C'est également cette non-creativité
patente qui me fait avancer un dernier argument, statistique : vu le
nombre de caractères surprenants concentrés dans un seul costume, il est
plus probable que ce soit une représentation exacte plutôt
qu'imaginaire. Bien entendu, cet argument est discutable mais la règle
de Saint Benoit (dont dépendait Citeaux) n'est pas réputée pour ses
extravagances.



5°/ Le matériel
5.1°/ Le tissu
De part le drapé des manches, je me suis
orienté vers un drap de laine le plus fin possible. J'ai fini par
dénicher l'oiseau rare dans le quartier St pierre à Paris : un
magnifique coupon de 3m violet soutenu, pour 25 €. Bien entendu, les
photos qui suivent peuvent difficilement rendre la finesse de ce drap
mais en gros, on dirait du lin avec le tombé de la laine. En plus, il ne
peluche pas du tout. Bref, que du bonheur à travailler, à part l'odeur
de mouton défraichi quand on le repasse. J'ai vérifié la possibilité
d'une telle couleur. Elle semble difficile, mais pas impossible, à
obtenir aussi "foncée" et soutenue. On peut notamment l'avoir à partir
de mélanges à base de bois de Braize (importé d'Inde). Une autre
solution, plus directe, est d'utiliser du bois de Campèche, mais comme
celui-ci vient du nouveau monde, ce n'est pas cohérent historiquement.
 Comme certaines enluminures montrent un
côte face aux tuniques, j'ai supposé qu'il était possible de les
doubler. Histoire de conserver un drapé fluide, j'ai cherché du satin de
soie. La chance aidant, j'ai trouvé mon bonheur dans le même magasin :
un coupon de 3m, couleur taupe verdâtre, pour 30 €. Malheureusement, il
faisait 136cm de large ce qui ne m'a pas permis de doubler entièrement
la tunique. Le buste n'est donc pas doublé.
Enfin, pour les bandes de décoration,
j'ai pris un drap relativement fin de laine sergé, marron, avec des
reflets dorés, Au final, ce n'était pas forcément un choix judicieux :
ma douce a eu quelques problèmes pour broder correctement sur le sergé
et il rigidifie un peu trop la tunique, quoique c'est peut être du à la
broderie.
5.2°/ La broderie
La broderie est entièrement faite en
laine que j'ai acheté à Pontoise, au stand d'une madame anglaise que les
habitués de Pontoise doivent connaître. La laine est filée et teinte
naturellement. J'ai choisi des coloris qui tranchent suffisamment sur la
couleur de la bande marron mais qui rappellent un peu la couleur de la
tunique. Ce qui est peut être une erreur en soi, mais bon ... Le seul
hic est la laine violette qui est teintée au bois de campêche (cf.
remarque ci-dessus).
Il est relativement fréquent de trouver
une enluminure où l'on voit des bandes de décorations brodées ou en
galon. Malheureusement, elles sont relativement peu détaillées et
surtout assez peu variées. Les principaux motifs que j'ai pu trouver
sont sur les images ci-dessous :
Alencon-ms0011-001v-detail ChalonSurSaone-ms0008-104v-detail Dijon-ms0129-004v-01-detail Tours-ms0924-f26-detail Paris-Mazarine-ms0003-151v-detail Paris-BNF-Latin5411-181-detail
 Le premier est le plus courant : une
suite de ronds, éventuellement ovales ou bien alternance ronds/ovales.
Le deuxième et troisième sont en gros un rond central avec quatre petits
ronds autour. Au vu de la seconde enluminure, il est possible que ces 5
ronds soient en fait tous des pierres. La quatrième enluminure présente
une variation plus rares : les 4 petits ronds sont accolés au rond
central. Encore une fois, rien n'exclu que ce soient en fait des
pierres. Les deux dernières sont relativement rares par rapport aux
autres : des sortes d'écailles/demi-cercles disposées en alternance
et/ou opposition.
Pour être tout à fait honnête, j'ai
dessiné les motifs de mes borderies avant de faire ces recherches, en me
basant uniquement sur le style classique des enluminures XIIème (qui
vaut aussi pour d'autres siècles) : des motifs floraux avec des feuilles
simples, ou bien multi-lobes, et pas mal d'arcs brisés. C'est donc avec
plaisir que j'ai trouvé des exemples approchant après coup.
5.3°/ Les "cailloux"
Pour compléter et mettre en relief les
broderies, j'ai choisi de coudre de petites pierres. On en voit plein
sur les enluminures ci-dessous :
Paris-BNF-Latin104-029v-detail Paris-StGenevieve-ms0008-041v-detail Paris-StGenevieve-ms0008-178v-detail
 Une question se pose tout de même : les
pierres peuvent-elles être cousue sur la broderie ou bien uniquement à
côté ? N'ayant pas de réponse toute faite, et surtout ayant une idée
précise du rendu que je voulais, j'ai apposé certaines pierres par
dessus la broderie.
J'ai aussi choisi des pierres dont la
couleur s'accorde avec le reste de la tunique mais ... au goût moderne.
J'ai donc des améthystes violettes et des cornaline oranges. Mais comme
elles sont toujours disposées sur du jaune pétant ou bien du marron
doré, il n'y a en fait jamais de ton sur ton,



6°/ Le résultat
6.1°/ la tunique
Le patronage de la tunique est un peu
particulier. J'ai du faire des choix d'interprétation mais aussi de
découpe du fait de la longueur et largeur des lais et de ma taille
(193cm) :
  • la longueur totale étant 163cm (après couture), j'ai du faire deux parties cousues aux épaules.
  • ces deux parties sont rectangulaires,
    de même hauteur et largeur : 165x 55cm (avant couture). Je n'ai donc pas
    fait de décalage pour que la ligne de couture tombe un peu plus sur
    l'avant de l'épaule, ce que je regrette car vu le poids de l'ensemble,
    le tissu tire la tunique en arrière ce qui me remonte le col sur la
    glotte et n'est pas très agréable. Il faut espérer que la ceinture
    limitera ce phénomène.
  • les godets latéraux font 110cm de haut
    et 42cm de large (avant couture). Ils partent au niveau de la taille. Au
    final, après couture, le bas de la tunique a une circonférence de
    250cm. J'aurai voulu au moins 30cm de plus mais la largeur du lai de
    soie (136cm) ne m'a pas permis plus.
  • la fente centrale fait environ 85cm de haut à la découpe, et environ 80cm à présent.
costume-XII-hervald-0001 costume-XII-hervald-0002
  • A cause de la doublure qui a été cousue
    sur le bord inférieur et le long de la fente de la tunique, puis
    retournée, le haut de la fente finissait en une sorte d'arrondi qui
    n'était pas très esthétique.  De plus, la fente remontait trop haut.
    J'ai donc choisi de faire une fente finissant réellement en pointe, en
    cousant les bords de la fente sur environ 10cm, Cela crée une sorte de
    pince (cf. photo de gauche ci-dessous) qui fait froncer le tissu mais ce
    n'est pas très visible au porté.
costume-XII-hervald-0003 costume-XII-hervald-0004
  • La soie : un bonheur a travailler !
    Cela faisait très longtemps que je n'avais pas fait une doublure et j'ai
    oublié un détail primordial : le satin de soie a deux côtés différents.
    Pour découper les godets (qui ne sont pas tout à fait des triangles
    rectangles), il faut donc en tenir compte ... ce que je n'ai pas fait.
    Au moment d'assembler les godets à la partie centrale de la doublure,
    j'ai constaté que ça ne collait pas du tout avec la tunique. Sur les 4
    triangles, seulement 2 vont bien. Après quelques minutes passées à
    éviter de tout balancer par la fenêtre, je taille dans le vif : je
    raccourçis la base de triangles pour les mettre au même niveau. Je couds
    les godets puis je découpe une pièce à peu près triangulaire pour la
    coudre à la base des godets, histoire de rattraper l'écart avec la
    tunique. La photo de droite ci-dessus montre le résultat : la triangle
    ajouté en bas à gauche, la partie centrale en haut et les deux godets au
    centre. Vive les puzzles !
  • Malheureusement, la soie étant mauvaise
    joueuse, elle se déforme beaucoup quand on la coud dans le biais. Le
    triangle ajouté est devenu un peu trop grand et fait de belles fronces.
    Heureusement, c'est une doublure ...
costume-XII-hervald-0005 costume-XII-hervald-0006 costume-XII-hervald-0007
  • Pour patronner les manches, j'ai fait
    divers essais pour la partie terminale. Ce qui rendait le mieux le tombé
    de l'enluminure est la forme ci-dessus : la fente part du poignet et va
    jusqu'au bout des doigts. La partie qui pend n'est pas perpendiculaire à
    l'axe de la manche mais revient vers le corps, ce qui forme un triangle
    au bout de la manche. En revanche, la forme en arc de cercle de la
    partie pendante n'est pas une bonne idée : le bout a tendance a rebiquer
    vers l'arrière. Je pense qu'une droite donnerait un meilleur résultat.
  • Comme on le voit sur les photos, la
    manche est en deux parties : je n'avais pas la possibilité de la
    découper en un seul morceau. La couture se trouve sur l'avant bras,
    juste après le coude. Il y a ainsi moins d'efforts sur la couture
    lorsque l'on plie le bras.
  • Le bas de la manche est en trapèze afin
    d'améliorer l'aisance sans utiliser de goussets, ainsi qu'au niveau du
    coude. Cela permet aussi d'avoir l'avant de la manche au plus près du
    bras. Au porté, c'est idéal à part le fait que la broderie rigidifie
    trop le tissu au niveau du biceps.
costume-XII-hervald-0008
  •  Les broderies ont été exécutées par ma
    femme, exclusivement au point de tige et point fendu. C'était ses
    débuts en broderie et compte tenu des motifs à suivre, pas
    nécessairement évident pour être régulier, surtout compte tenu du sergé
    de la laine de base. A part quelques imprécisions, vous pourrez
    constater sur les photos ci-dessous qu'elle s'en est remarquablement
    tirée.
  • Après environ 90h à broder, le résultat, dans cet ordre : les manches, le col et le bas.
costume-XII-hervald-0009
costume-XII-hervald-0011
costume-XII-hervald-0013
  • J'ai ensuite cousu les bandes au point
    invisible sur les différentes parties de la tunique, avant de coudre la
    doublure puis d'assembler les différentes pièces. Enfin, j'ai cousu les
    75 pierres.
  • A noter que une bonne moitié de
    coutures, non visibles, par exemple l'assemblage des godets, la couture
    tunique/doublure, ... ont été faites à la machine, histoire d'accélérer
    la confection. L'autre moitié étant irréalisable à la machine, j'ai du
    user de l'aiguille une fois n'est pas coutûme.
  • Au final, après au moins 130h de
    travail (dont 90 de broderie), et quelques retouches (par exemple sur
    les fentes), j'ai pu essayer la chose.
  • Pour les photos ci-dessous, j'ai mis ma
    chemise, mes braies, mes chausses et chaussures habituelles. La
    ceinture est également absente pour donne une idée du rendu "brut".
costume-XII-hervald-0017-mini costume-XII-hervald-0020-mini
  • Comme on le voit ci-dessus, les manches pendouillent bien comme sur l'enluminure.
  • L'encolure arrive bien au ras du cou, ce qui cache la chemise. J'ai même un peu du mal à retirer la tunique.
  • En revanche, le drapé du bas est quasi
    inexistant : visiblement, il n'y a pas assez d'amplitude. De plus, la
    doublure tire le tissu vers le bas, ce qui limite les plis.
costume-XII-hervald-0023-mini costume-XII-hervald-0025-mini
  • Premier défaut irrémédiable : les
    bandes de biceps sont trop près du coude. Quand le bras est plié à 90°,
    ça fronce beaucoup trop entre la pliure du coude et la bande, ce qui
    n'est pas très esthétique.
  • Second défaut : le bout pendant de la
    manche rebique. Comme indiqué plus haut, il aurait mieux value faire une
    découpe droite plutôt que circulaire.
  • Sur la photo de gauche, j'ai mis ma
    jambe un peu comme sur l'enluminure. En étant un peu plus de profil, il
    serait effectivement possible d'avoir une fente centrale qui donne
    l'impression d'être latérale.
  • Sur la photo de droite, on voit un bout
    de mes braies mais pas la chemise : celle-ci m'arrive en haut de la
    cuisse mais surtout est également fendue devant. Visiblement, cela
    suffit pour qu'elle ne se voit pas.
6.2°/ La ceinture


La ceinture est faite intégralement en cuir. L'arrière, donc la
partie "en banane" est réalisée en cousant deux épaisseurs l'une sur
l'autre afin d'avoir la fleur des deux côtés de la ceinture. Pour éviter
de gacher du cuir, l'avant est fait en cousant deux empiècements à
chaque bout de la banane, venant prendre en sandwich celui-ci. Ensuite,
j'ai fendu ces empiècements en 2 ou 3 brins, puis tressés ceux-ci de
façon a former un tube. Enfin, j'ai terminé chaque tube par un tressage
en forme de gland. On peut voir le résultat sur la photo ci-dessous.


costume-XII-hervald-0032-mini 
Cette phase terminée, la ceinture
faisait un peu "nue". J'ai donc décidé de repousser le cuir afin de la
doter de motifs floraux, très en vogue à l'époque. Comme Hervald est
seigneur d'Eschène, la frise commence par quleques feuilles de chênes et
de glands. Le résultat final est visible sur les photos ci-dessous. On
remarque sur la deuxième le fameux noeud en huit qui semble être utilisé
sur la plupart des enluminures.
 costume-XII-hervald-0034-mini
 costume-XII-hervald-0033-mini
6.3°/ Les chaussures


Comme déjà indiqué en section 4.3, ce
type particulier de chaussures "pointue" a été retrouvé en fouilles.
Cela dit, les exemplaires mis au jour ne sont pas aussi pointus que sur
les enluminures. En revanche, on note bien sur certains d'entre eux une
découpe sur le haut du coup de pied, indiquant le côté m'a-tu-vu de ces
chaussures qui laissent entrevoir les chausses.
J'ai donc patronné une paire de
chaussures qui suive ces "codes", en lui ajoutant une bande de renfort
d'une autre couleur (pour le côté frime) mais sans bande de broderie, le
cuir choisi ne s'y prêtant pas. Le résultat est visible sur les photos
ci-dessous, la première montrant l'assemblage avant retournage. On
notera également sur la dernière l'utilisation d'une trépointe
s'intercalant entre la semelle et la tige.
 chaussures-hervald-0103-mini
 chaussures-hervald-0101-mini
 chaussures-hervald-0102-mini



6.4°/ le reste


Parmi les autres éléments du costume,
les chausses sont également particulières puisqu'elles sont dans un
tissu mélangeant laine et soie, d'un beau vert d'eau, très agréable à
porter. Et surtout le tissage en damier associé à la soie donne un
aspect chatoyant, toujours dans l'esprit frimeur du costume. La chemise
de corps est en lin fin blanchi, tissé chevron. Elle s'arrête à
mi-cuisse mais peut parfois être visible à cause de la fente de la
tunique.
Le dernier élément en cours de réalisation est un fermail en forme de coeur, zoomoprhe, classique pour cette époque.
6.5°/ Tout ensemble
Je n'ai malheureusement pas beaucoup de photos réussies du costume
complet donc je ne résiste pas à mettre celle où je suis accompagné de
mon épouse, dont vous pourrez lire l'article sur son costume ici.


 costume-XII-hervald-0045-mini



6.6°/ Delirium tremens


costume-XII-hervald-0018-mini costume-XII-hervald-0028-mini
 Dijon-ms0168-004v-fake

Hervaldsheim Textile Réalisations Costume masculin de noble, début XIIème, est de la France


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